The End Of Poverty
En Novembre dernier, nous vous avions brièvement parlé de Jeffrey Sachs et du Millenium Promise qu'il dirige au sein de Nations Unies. Revenons y un peu mieux...
D'abord à propos de Jeffrey Sachs. Après avoir obtenu un diplôme en sciences économiques à Harvard, JS y est devenu enseignant pendant une trentaine d'années. Au cours d'une conférence sur la surinflation bolivienne, en 1985, il est invité à conseiller ce gouvernement pour sortir de la crise. Une année seulement lui suffira à aider le pays à assainir son système économique et à mettre au point quelques mesures propres à remettre durablement les finances sur les rails. Fort de ce succès, il est appelé en Pologne peu avant la chute du bloc communiste pour aider le pays à passer d'une économie nationalisée et sponsorisée par l'URSS à une économie de marché libre et tournée vers l'Europe. Là encore c'est un succès sans faille. De nombreux pays de l'ancien bloc communiste s'inspireront de ses recommandations. Il est alors appelé en URSS, où il subira son premier et unique revers, Boris Yeltsine voulant couper nettement avec toutes les initiatives de Michail Gorbachov. Mais il sera à nouveau appelé en Chine, puis en Inde, où il renouvellera ses exploits avec le succès que l'on connait, avant de se rendre en Afrique pour la première fois, en 1995.
Le choc est brutal. Comme tout le monde, il avait entendu parler de la pauvreté du sub-sahara, des famines, des maladies, du manque de moyens sanitaires et d'éducation. Mais il ne l'avait jamais constaté de lui-même et, surtout, il n'en avait jamais mesuré l'étendue. La différence cependant c'est que JS est un entrepreneur économique, pour qui la fatalité est dépassée.
Il commencera par faire un diagnostique précis des symptomes et des causes de l'extême pauvreté qui l'entoure. Très vite il écarte les préjugés, souvent racistes, répandus dans les milieux politiques et économiques - la fatalité historique ou géographique, "la pauvreté des uns fait la richesse des autres", la paresse et les moeurs dissolues des africains, la corruption etc. A travers plusieurs études comparatives des travers cités entre différents pays à différents niveaux de développement, il constate que les pays du sub-sahara ne sont ni pires ni meilleurs, et que tous les cas de figures existent, quelque soit le niveau de développement d'un pays.
Il met alors sur pied un plan de développement adapté à chacun de ces pays, prenant en compte six domaines essentiels:
- le capital humain: santé, nutrition, et capacité de chacun à être économiquement productif (égalité homme/femme)
- le capital économique: l'industrie, les services, le transport, la technologie
- les infrastructures: les routes, l'énergie, l'eau, les système sanitaire, les aéroports et les ports, la télécommunication
- le capital naturel: terres cultivables, biodiversité, sols sains
- le capital institutionnel: lois commerciales, système judiciaire, services gouvernementaux, partage du travail
- capital cognitif: la recherche et le savoir faire technologique, l'éducation et la formation
On considère comme "extrêmement pauvre" un pays dont la majorité des habitants vit avec moins de $1,08 par jour, soit la somme estimée nécessaire par la Banque Mondiale à assurer le minimum des besoins humains à la survie. Cela concerne 1,1 milliard d'individus sur terre, vivant avec en moyenne 77 cents par jour. Il manque donc 31 cents par jour à ces personnes, soit $ 124 milliard par an au total.
Cela vous paraît énorme? Les revenus annuels des 22 pays les plus riches du monde représentaient $ 20 200 milliards par an en 2001. Un transfert de 0,6% de cette somme suffirait donc à éradiquer définitivement l'extrême pauvreté dans le monde.
La bonne nouvelle? C'est que depuis 2000, JS travaille au sein des Nations Unies à ce projet, renommé le Millenium Development Project. Son energie et sa crédibilité lui ont permis de signer un accord avec ces 22 pays dès 2001: tous ont accepté de reverser 0,7% de leurs revenus à ce projet pendant 25 ans, soit le temps nécessaire à construire les 6 points cités plus haut pour chacun des pays concernés. En théorie donc, l'extrême pauvreté est en voie de disparition depuis 2001.
La mauvaise nouvelle? Ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui en sont la cause, et le changement de priorités de l'administration américaine actuelle. Depuis le début de la guerre en Irak le gouvernement américain a dépensé en moyenne 30 fois plus pour l'armement que pour l'aide prévue, soit 450 milliards par an contre 15 milliards. Les alliances américaines ont été cause, dans une moindre mesure, du même effet sur les bugdets de nombreux pays. Les promesses de 2001 continuent de fleurir dans les discours, mais pas dans les faits. Lorsque l'ONU en a fait le reproche aux USA récemment, le délégué américain a répondu que les nouvelles lois américaines sur l'immigration permettaient à ces pays de garder leur travailleurs, évitant ainsi la déperdition de la main d'oeuvre, et que cette contribution américaine compensait en partie les promesses qui n'avaient pas été honorées. Peut on être plus cynique?
Nous ne reviendrons pas sur la décision même d'entrée en guerre et l'inexistence avérée d' armes de destruction massives. Mais nous sommes en droit de nous demander si les priorités terrorisme/extrême pauvreté ont bien été comprises. Nous pouvons également nous demander ce qui est le mieux à même d'éradiquer le terrorisme: reconstruire les pays et lier avec eux des liens commerciaux ou occuper les territoires et ensanglanter l'histoire? Les générations futures de ces pays répondront aux nôtres.
Pour en savoir plus sur Jeffrey Sachs et, surtout, sur le Millenium Development Project, nous ne saurions trop vous conseiller la lecture de The End of Poverty. A travers des faits et des analyses impartiales, dans un langage simple, JS nous met à portée de comprendre les rouages et les enjeux en présence. Vous pouvez également vous rendre sur le site du Millenium Project, très clair et bien documenté. Et si comme nous vous adhérez et pensez que l'utopie est aussi dépassée que les préjugés, vous pouvez donner ce que vous avez le plus: du temps, de l'argent ou simplement de l'intérêt !
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